Conceptions marginales, conceptions novatrices ?
Abstract
Quelle place accorder dans le cadre d’une conception structurale de l’histoire de l’éducation aux
alternatives pédagogiques qui jalonnent ces trois derniers siècles? Nombreuses sont pourtant les
réflexions et réalisations qui prennent vie en marge des pratiques communes, revendiquant la
volonté de «faire autrement». Viennent-elles remettre en question la modélisation ici proposée ou
permettent-elles au contraire de placer en exergue des héritages ou des ruptures? Au regard de
l’histoire, ces propositions, si riches qu’elles puissent être, pourraient être considérées comme
anecdotiques. Cependant, si nous concevons ces réflexions et expériences marginales non pas
comme des initiatives isolées mais que nous les mettons en perspective, les considérant comme
autant de critiques successives de l’existant, elles permettent de porter un regard diachronique sur
l’éducation. Considérées comme un analyseur potentiel de l’évolution de l’éducation, ces expériences
originales nous semblent pouvoir contribuer à la compréhension des dynamiques en jeu sur la
longue durée du temps éducatif. Le fait que l’histoire considère comme «notables» des expériences
singulières, incarnées, des pédagogies étroitement associées à l’œuvre d’un pédagogue ou d’un
mouvement pédagogique, constitue, en soi, une mise à distance d’un mouvement historique plus général. Si l’étude de ces innovations, c’est-à-dire de ce qui est vécu et revendiqué par les
éducateurs comme une pratique nouvelle (selon la définition qu’en propose Françoise Cros, 1997,
p. 525), permet de souligner des répétitions ou, au contraire, des évolutions, elle permet de manière
corolaire de distinguer en creux les continuités ou les ruptures dans les pratiques que dévoile une
histoire de l’éducation abordée de manière structurale. En cela, ces expériences ponctuelles se
révèlent éclairantes pour penser l’acte éducatif dans la durée. En nous appuyant sur l’étude de
pédagogues dont les conceptions sont considérées comme marginales dans leur contexte
d’élaboration, nous avons tenté de déterminer ce qui, selon les acteurs eux-mêmes de l’éducation,
était à considérer comme novateur dans leurs pédagogies, et d’étudier les récurrences ou variations
potentielles qui permettraient, par contraste, d’indiquer la mesure d’un renouvellement dans les
pratiques communes. Que la critique se répète ne signifie assurément pas que les pratiques
communes n’aient pas évolué, mais permet de souligner des résistances qui peuvent se traduire par
l’absence d’évolution, par une difficulté des prescriptions à pénétrer les pratiques, ou par le retour de
pratiques antérieurement en usage. C’est ainsi qu’une place importante est ici accordée aux écrits de
ces pédagogues. Il ne s’agit en effet pas ici d’évaluer la pertinence et l’efficience des réponses qu’ils
ont apportées, mais d’interroger l’existant à travers la critique qu’ils en font, et sur laquelle leurs
pensées pédagogiques se fondent.