Du bon usage de l’obstacle
Résumé
La transparence, l’immédiateté et l’absence d’intermédiaire constituent trois exigences contemporaines face auxquelles la notion d’« obstacle » demande à être réinterrogée. Pour ce faire, le XVIIIe siècle constitue un point de repère stimulant ; ce siècle met en jeu et en cause la transparence au profit d’un obstacle avec lequel on joue, duquel on se joue. Dans le cadre de l’appréhension du monde, le XVIIIe siècle accuse le caractère kaléidoscopique, et donc partiel, de toute perception, et par-là son intérêt esthétique. Le décor rocaille conduit le visiteur à remettre en question l’unité et l’unicité de sa perception (multiplication des miroirs, prévalence de l’asymétrie, recours à l’accumulation) ; les fictions littéraires multiplient les voix, les visions partiales et partielles sur des faits dont la vérité définitive chancelle, s’échappe, fuit. Dans le champ épistémologique, la connaissance est conçue comme une conquête, un obstacle à dépasser, qu’emblématise la devise kantienne sapere aude. L’effort à produire pour connaître devient le modèle épistémologique des savants, de Fontenelle à Montesquieu, de Newton à Buffon : la curiosité soulève voire déchire le voile de la Nature. Enfin, dans le domaine artistique, c’est l’accès aux œuvres qui se trouve dramatisé par des systèmes de dissimulation : l’obstacle éphémère (tissu, recouvrement par une autre œuvre…), indéniablement lié à la nature transgressive des figurations, disent aussi la valeur et la portée des représentations visuelles. Sans valoriser l’obstacle au détriment de la transparence, il s’agit plutôt de reconsidérer axiologiquement sa permanence et son intérêt, au regard d’un XVIIIe siècle vivifiant, détour fécond qui interroge et interpelle notre rapport au monde contemporain.