De la sécurité juridique à l’insécurité territoriale – Le curseur de la confiance - Normandie Université Accéder directement au contenu
Pré-Publication, Document De Travail Année : 2020

De la sécurité juridique à l’insécurité territoriale – Le curseur de la confiance

Résumé

Il s’agit, en dressant une synthèse actualisée et en présentant les perspectives de mes recherches, de tester l’hypothèse selon laquelle le curseur de la confiance innerve de nombreux pans du droit public et de l’action publique. L’étude tant des normes que des institutions ou encore des territoires et de leurs représentations peut en effet être menée en tirant ce fil directeur qui ne correspond pourtant pas en tant que tel à une notion juridique du droit interne français. L’objectif n’est pas - bien au contraire - de juridiciser la notion sur les modèles du droit allemand ou européen, mais de montrer sa potentielle fonction justificative et explicative des catégories et régimes juridiques du droit public. L’idée de confiance est d’abord au cœur du principe matriciel axiomatique de sécurité juridique, dans la mesure où les normes et les institutions ont pour fonction première de sécuriser le droit produit et les droits protégés. Les acteurs du droit et les décideurs publics tentent dès lors de limiter l’insécurité juridique, par le truchement d’outils divers visant à garantir ou à rétablir la confiance individuelle de ses destinataires dans le droit objectif et dans leurs droits et intérêts subjectifs (Partie I). Cependant, les périmètres du droit et de l’action publique sont devenus multiples et mouvants, ce qui a engendré une insécurité territoriale et une méfiance - voire une défiance ou une dé-croyance - des citoyens à l’encontre des acteurs de ces territoires, et donc du droit et des actions publiques menées dans ces cadres anciens ou récents. L’idée de confiance est par conséquent également au cœur d’une question plus nouvelle, celle de la territorialisation du droit et de l’action publique, qui est vectrice d’insécurités et de crises politiques et sociales si elle n’est pas fondée sur l’adhésion et la confiance collectives (Partie II). 1ère Partie : La sécurisation du droit et des droits, par le droit Le principe de sécurité juridique, élément essentiel de l’Etat de droit consacré dans les années soixante par les droits allemand puis européen et reconnu plus ou moins expressément en droit public français - notamment par le Conseil d’Etat en 2006, le Conseil constitutionnel persistant dans son refus de le consacrer expressément -, permet avant tout au droit de se sécuriser, dans la mesure où celui-ci doit être prévisible, accessible et stable, donc fiable (Chapitre I). Il peut dès lors permettre de garantir les intérêts de confiance de ses destinataires quand leur confiance est légitime : le principe de protection de la confiance protège la croyance que les intéressés peuvent avoir dans l’existence et le maintien de situations juridiques qui leur sont favorables et qu’ils pouvaient légitimement croire comme constituées. Le mécanisme tel qu’il est appliqué en Allemagne est cependant très subjectif, et sa transposition en droit interne français pourrait mettre à mal les fondations objectives de notre système juridique, ce qui serait dangereux et d’autant plus inutile que notre droit public a élaboré depuis les années 1990 des mécanismes concurrents efficaces qui permettent de protéger les intérêts subjectifs de confiance et les attentes des personnes. La démarche des juges français dans ce processus de subjectivisation du droit est toutefois tortueuse : le principe de sécurité juridique reconnu par le juge administratif ne revêt pas explicitement valeur constitutionnelle, alors que le principe de protection de la confiance que le Conseil d’Etat se refuse à consacrer - mais qu’il applique en substance sous couvert de sécurité juridique - semble implicitement constitutionnalisé depuis 2013, sous la forme d’une obligation générale d’adoption de mesures transitoires (Chapitre II). Dans une même logique de fortification de la position de l’individu face à la puissance publique et à ses ingérences dans la sphère privée, le droit permet enfin de sécuriser les droits fondamentaux lorsqu’ils sont consacrés. La question se pose de savoir si la protection de droits fondamentaux (notamment le droit de propriété) ne constituerait pas de facto une manifestation potentielle, plus exactement une concrétisation, du principe de protection de la confiance légitime en droit positif, et ce d’autant plus que des droits non consacrés (l’absence de droits pour les locuteurs de langues régionales ou le refus d’un droit à mourir par exemple) peuvent être vecteurs d’insécurité et de défiance à l’encontre des pouvoirs publics et d’autres acteurs, publics comme privés (Chapitre III). La sécurité du droit et des droits par le droit, déjà mise à mal par la subjectivisation du droit fondée sur l’idée de confiance, risque une mise à mort par la prolifération des territoires, devenus les nouvelles boussoles du droit et de l’action publique sans forcément représenter des référents identitaires pour leurs habitants. 2ème Partie : L’insécurisation des cadres territoriaux, par la territorialisation du droit La perspective est d’abord quantitative, dans la mesure où le constat est celui d’une territorialisation croissante du droit et de l’action publique depuis une dizaine d’années, ainsi que d’une prolifération de périmètres territoriaux hétérogènes, le ‘territoire’ ne pouvant plus être considéré que comme un élément constitutif ou un attribut de l’Etat. Certes, le principe de territorialité du droit et de l’État subsiste, mais il semble dépassé : le territoire n’est pas forcément exclusivement relié à la notion d’État, n’est pas non plus forcément corrélé à une unité de commandement politique, et n’est pas, enfin, forcément un espace institutionnalisé, formalisé et fixé (hard space) à l’aide d’un pouvoir de contrainte (hard power) et de règles juridiques contraignantes (hard law). Les espaces (plus ou moins institutionnalisés ou formalisés) s’additionnent, se superposent et s’intercalent, en vertu d’une ingénierie territoriale complexe dans et hors les frontières des États, et dans et hors l’espace européen. La loi nationale est concurrencée par d’autres normes, infra- ou supra-nationales, élaborées par différents acteurs et interprétées et éventuellement harmonisées par les juges, dans la mesure où l’espace normatif est également devenu pluraliste, divers et hétérogène, en fonction du champ d’application des règles et du champ de compétence des juges. (Chapitre I). Les Etats notamment - mais également l’Union européenne - organisent et réorganisent en permanence les pouvoirs et les compétences en leur sein, leur gouvernance multi-niveaux oscillant entre néo-centralisme rampant (plus ou moins déconcentré) et territorialisation à la carte (fédéralisme, décentralisation, dévolution, consociation, régionalisation, intercommunalisation, métropolisation, différenciation…), au prix de désorganisations, complexifications et fragmentations institutionnelles auxquelles l’Etat français n’échappe pas. Ses réformes territoriales récurrentes, précipitées, autoritaires, parcellaires et mal articulées entre elles ne règlent en outre ni le problème de l’émiettement communal, ni celui du ‘millefeuille territorial’ (Chapitre II). L’insécurité dans et par les territoires est en grande partie causée par ce réformisme territorial permanent, qui crée des brouillages, des fractures et des tensions qui jouent contre le processus de légitimation des territoires (et de leurs représentants), en en faisant des échelles d’action ou des cadres stratégiques, et non des constructions sociales produites sur le temps long et reposant sur des mécanismes démocratiques. Le pouvoir est donné prioritairement à l’espace et à ses multiples formes et évolutions (redécoupages, regroupements, fusions…), et non aux citoyens. Dès lors, beaucoup de territoires ne deviennent ni des objets de représentation ni des référents identitaires susceptibles d’appropriation, ce qui engendre des crises d’identité et de légitimité politique. On peut donc émettre l’hypothèse selon laquelle la crise de confiance (politique et sociale) actuelle est avant tout territoriale. Elle est due au fait que la perspective institutionnelle et financière dominante en matière territoriale néglige le ‘vivre-ensemble’ (démocratie locale, services publics, partage de l’espace public…) ou, de manière plus ciblée, la gestion des crises dans les territoires (mouvements zadistes, bonnets rouges ou gilets jaunes, ou encore accident industriel de Lubrizol), deux impératifs pourtant essentiels pour qu’un espace ‘fasse’ territoire et société. (Chapitre III). La forte territorialisation du droit et de l’action publique fragilise et insécurise à la fois les territoires et le droit. Le temps long des normes juridiques, des transformations administratives et des constructions sociales est court-circuité par les bouleversements des réformes territoriales, pensées dans un temps court et régulièrement remises en cause. Sécuriser le droit, réguler les relations sociales ou protéger les attentes et intérêts individuels de confiance - qui en soi est déjà vecteur de différenciation et d’inégalités - est voué à l’échec si les cadres du droit et de l’action publique sont incertains, mouvants, émiettés et posés sans l’adhésion des populations concernées. « C’est la confiance qui rend possible le développement de la sociabilité et le fonctionnement de la démocratie » (Michela Marzano « Qu’est-ce que la confiance ? », Etudes 2010/1, Tome 412, p. 53). C’est le rapport de confiance qui crée le droit et qui ‘fait’ territoire vécu et société apaisée, avec le droit qui, en retour, peut créer des rapports de confiance individuels et collectifs. PLAN: Introduction Partie I : La sécurisation du droit et des droits, par le droit Chapitre I : Le principe matriciel de sécurité juridique Section I : Ancrage et définition §1- Ancrage §2- Définition Section II : Consécration §1- En droit constitutionnel §2- En droit administratif Chapitre II : La garantie des intérêts de confiance Section I : Définition du principe de protection de la confiance légitime §1- Confiance et action collective §2- Confiance et subjectivisme Section II : Consécration implicite et partielle §1- En droit constitutionnel §2- En droit administratif Chapitre III : La protection des droits fondamentaux Section I : Les droits fondamentaux, expressions du principe de protection de la confiance §1- Fondement §2- Concrétisation Section II : Les droits non consacrés, vecteurs d’insécurité et de défiance §1- L’absence de droits pour les locuteurs de langues régionales §2- Le refus d’un droit de/à mourir Partie II : L’insécurisation des cadres territoriaux, par la territorialisation du droit Chapitre I : La prolifération des territoires Section I : La territorialisation du droit et de l’action publique §1- Le droit saisi par les territoires §2- La question de la définition juridique du territoire Section II : La multiplication des périmètres §1- La multiplication des notions §2- La multiplication des cadres territoriaux Chapitre II : Les mutations de l’État territorial Section I : Un néo-centralisme rampant §1- La centralisation du pouvoir §2- Une centralisation subie par les entités infranationales Section II : Une territorialisation à la carte §1- Le degré plus ou moins poussé de la décentralisation §2- L’intercommunalisation à plusieurs vitesses Chapitre III : La crise de confiance politique et sociale Section I : Crise de la représentation §1- Ce qui ‘fait’ territoire §2- Les obstacles aux représentations Section II : Crise sociale §1- Les paradoxes du ‘vivre-ensemble’ dans les territoires §2- La question de la gestion des crises dans les territoires Conclusion
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hal-02908160 , version 1 (28-07-2020)

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Sylvia Brunet. De la sécurité juridique à l’insécurité territoriale – Le curseur de la confiance. 2020. ⟨hal-02908160⟩
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