, Et la conclusion s'imposait : le plus grand [bien] est donc de n'avoir absolument aucun besoin de nourriture. En somme, l'idéal serait d'être un dieu, ce qui coïnciderait avec une absence absolue de besoin. Mais, ne pouvant évidemment pas être un dieu et donc ne pouvant pas atteindre le bien premier et souverain, l'homme, du moins le sage, doit se contenter d'atteindre un bien second (deuteron), qui consisterait, non seulement, cela va de soi, à éviter toute akolasia, mais aussi à limiter le plus possible, comme le faisait Épiménide, la satisfaction même des besoins vitaux. Cette attaque contre l'homme, et avant tout contre le corps de l'homme, qui passe par l'élimination idéale des organes de la nutrition, est ce qui éloigne définitivement le Solon de Plutarque du Timée de Platon. Car, il ne faut pas l'oublier, le corps de l'homme du Timée, malgré les contraintes imposées par la nécessité, est néanmoins un produit de l'intellect divin, donc un produit nécessairement bon et parfait dans sa composition. En somme, ce corps est lui-même d'une certaine façon divin. De l'idée, quelque peu surprenante chez Platon, d'une akolasia originaire et spontanée que notre propre corps nous permet de contenir et qui donc ne nous empêche pas de philosopher et d'être, de temps en temps, comme un dieu, on passe chez Plutarque à l'idée, quelque peu inquiétante, d'une vie austère et idéale, une vie de sage qui ne devrait pas connaître le besoin, ni donc le plaisir qui dérive de la satisfaction de ce même besoin

, L'intervention constante du corps et de ses besoins dans les activités de l'âme est stigmatisée de manière très forte aussi dans le Phédon de Platon, pp.66-67

, Ce même corps qui pour Plutarque empêche les sages d'être tout le temps sages est ce qui permet, dans le Timée, à l'homme d'une bonne constitution, faute de pouvoir philosopher tout le temps et de pouvoir manger tout le temps, d'être de temps en temps philosophe -et cela grâce à cette ruse de l'intellect divin que sont les intestins. Bien entendu, ce naturalisme platonicien a un prix : il oblige à distinguer différentes natures humaines, car c'est par nature que certains hommes seront philosophes, et d'autres non. Pour Plutarque, en revanche, il n'y aurait qu'une seule nature humaine

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