Le capitalisme à l’assaut des sciences humaines et sociales : l’exemple des revues payantes en psychologie
Abstract
L’angle choisi par cet éditorial invité est celui du travail réel, de l’activité des chercheuses et chercheurs en psychologie. Nous proposons une analyse des évolutions de la discipline, en matière de diffusion des « produits » de la recherche et de publication scientifique. Les logiques capitalistes (marchandes) à l’œuvre, qui émanent de grands groupes privés de l’édition (Elsevier, Frontiers…) mettent à mal le travail des chercheurs et tendent à les déposséder de la capacité à penser leurs pratiques et règles de métier. Les effets de l’extension du capitalisme aux productions et au travail scientifiques décrits sont de plusieurs ordres. La manifestation la plus tangible reste les revues payantes. Elles sont révélatrices de changements bien plus profonds propres à un milieu dérégulé par des logiques marchandes. Cette dérégulation débouche sur une remise en cause de l’universalisme, au sens de Robert K. Merton. Dans ce contexte, les chercheurs ainsi que leurs institutions deviennent une source de profit à double entrée pour les grands groupes de l’édition. En proie à la prédation capitaliste exercée par ces derniers, les travailleurs de la recherche perdent progressivement la main sur l’organisation de leur propre production et le choix des critères d’évaluation de leur travail. En effet, les outils bibliométriques (commerciaux) développés par les éditeurs tendent à devenir le socle de l’évaluation du travail des chercheurs et viennent ainsi se substituer au « travail de la pensée » des communautés scientifiques. Nous terminons par une critique des critères d’évaluation promus par les éditeurs (notamment l’indicateur SCImago Journal Rank, SJR), tout en soulignant que ceux-ci tendent à entrer en contradiction avec la réalisation d’un travail de qualité. Sans oublier que la volonté de se conformer aux critères imposés peut parfois inciter à développer des pratiques relevant de l’imposture, contraires à l’intégrité scientifique. Ce texte ouvre des pistes de réflexion sur les conditions d’une réappropriation, par les chercheurs, de leur métier et des modalités de diffusion de leurs travaux.
Éditorial invité en accès ouvert sur : http://www.cairn.info/revue-zilsel-2019-2-page-9.htm
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