Le silence, mise à l’épreuve de la sincérité au théâtre (1802-1828) - Normandie Université Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Quêtes littéraires Année : 2018

Le silence, mise à l’épreuve de la sincérité au théâtre (1802-1828)

Résumé

Héritier d’une conception rousseauiste du langage, le mélodrame, art théâtral qui connaît un immense succès sous le Consulat et l’Empire en France, assigne au sonore (il contient souvent des couplets chantés, comme le rappelle son étymologie), mais aussi au silence un statut et une fonction plus nobles qu’au discours : dans cette dramaturgie à l’axiologie clivée, les personnages de traîtres, de criminels, d’hommes politiques puissants mentent, manipulent les mots avec adresse tandis que ce sont ceux qui se taisent, par timidité, décence ou sensibilité, qui ont la faveur de pièces exhibant le silence en tant que valeur éthique. Il s’agit également d’une valeur esthétique : pour ses spectateurs postrévolutionnaires friands de situations spectaculaires qui laissent, littéralement, sans voix, le silence mélodramatique est un instrument de mesure de l’effet. Un mélodrame réussi propose à chaque acte des tableaux muets saisissants dans lesquels des personnages « parlent » uniquement avec leurs corps, dans un registre qui emprunte à la pantomime mais aussi à la gestuelle opératique. Le cinéma muet s’en souviendra, comme le prouve le nomadisme générique des plus grands succès du mélodrame : pour ne donner qu’un seul exemple, Les deux orphelines d’Adolphe d’Ennery et Eugène Cormon jette en 1874 sur la scène du théâtre parisien de la porte Saint Martin ses derniers feux, mais l’intérêt pour son intrigue à multiples rebondissements ne faiblit pas, puisqu’adapté par ses auteurs en 1877 en roman il obtient un succès considérable, relancé par de nombreuses rééditions, notamment sous forme de feuilleton (dans La Nation, en 1892) ou de collections populaires. Puis il fait l’objet d’adaptations cinématographiques, dont l’un des derniers chefs d’œuvre du cinéma muet nord-américain (sous le titre Orphans of the Storm, D. W. Griffith, 1921). Dans ces récits, le silence bâtit un espace essentiel à la compréhension : toujours temporaire, mais marquant, il stimule le débat, appelle l’aveu et l’exposition de la vérité. Les moments de mutisme abondent : des personnages cachés, néanmoins ostensiblement portés à la vue du spectateur, ne font aucun bruit afin d’écouter les projets de criminels. D’autres se mêlent aux protagonistes malfaisants, mais feignent temporairement d’être muets pour ne pas éveiller leur vigilance ; d’autres enfin, muets par accident ou par agression, trouvent toutefois moyen, grâce à l’expressivité de leur gestuelle, de faire connaître leurs déboires et d’en obtenir réparation. Le silence « parle » et communique des informations et des valeurs essentielles.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-02275721 , version 1 (01-09-2019)

Identifiants

  • HAL Id : hal-02275721 , version 1

Citer

Florence Fix. Le silence, mise à l’épreuve de la sincérité au théâtre (1802-1828). Quêtes littéraires, 2018, Le silence en mots, les mots en silence, 7, pp.34-42. ⟨hal-02275721⟩
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