, Sur la faible réception de Carausius dans le monde gallois, voir les remarques de Jankulak, Geoffrey of Monmouth, p.47

À. Penmachno-près-de-conwy, dans le nord du pays de Galles : voir « St Tudclud's Church, vol.5, 2019.

O. Szerwiniack, Geoffroy de Monmouth, au XII e siècle, représente l'étape suivante. C'est avec lui que, pour la première fois, l'écriture de l'histoire s'affranchit presque entièrement de l'héritage de Bède, mais aussi des auteurs chrétiens de l'Antiquité tardive comme Eutrope, Orose ou Jérôme ; comme chez Gildas et le pseudo-Nennius, mais dans des proportions infiniment plus grandes, l'histoire de l'île à l'époque « romaine » devient une histoire essentiellement bretonne où les Romains ne jouent qu'un rôle secondaire, celui d'intervenants occasionnels dans les affaires indigènes de cent quatorze « rois de Bretagne » dont le règne ininterrompu escamote entièrement le fait de la colonisation 69 . Malgré les contestations dont elle a pu faire l'objet dès sa parution, l'oeuvre de Geoffroy de Monmouth a connu une diffusion encore plus impressionnante que celle de Bède, et les conséquences de cette réception largement positive sont incalculables, tant dans les îles que sur le continent 70 . L'Histoire des rois de Bretagne a donc donné le la pendant environ cinq cents ans. Elle a été considérée à la fois comme une source d'histoire fiable et véridique et comme un réservoir inépuisable d'anecdotes et d'intrigues, tant pour le roman médiéval que pour le théâtre élisabéthain. L'influence considérable de Geoffroy est ici explorée par Alban Gautier et, à travers son émule Wace dont le Roman de Brut a été composé au milieu des années 1150, par Marie-Madeleine Castellani. Enfin, le siècle écoulé a aussi entraîné, à travers le considérable renouveau de la matière arthurienne (en particulier dans le monde anglophone 71 ), un nouvel intérêt pour les tyrans de Bretagne et des représentations très originales, dont la fantaisie et l'inventivité atteignent parfois le même niveau que chez Geoffroy lui-même. C'est ce dont témoignent les contributions de Marc Rolland et de Justine Breton. Il semble bien, en effet, qu'il existe un engouement spécifiquement britannique pour l'époque de la domination romaine, la Roman Britain, à peine écornée par des réserves comparables à celles qui prévalent dans ce qui fut la Gaule, où l'on exalte plus volontiers la résistance à la conquête de César et à la romanisation : Boudicca n'a pas le même rayonnement national que Vercingétorix, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, Paris, Les Belles Lettres [coll. « La Roue à Livres »], 1999. opéré une sélection, ne retenant que ceux qui concernaient d'une part l'île de Bretagne, d'autre part les hérésies 67 . L'immense prestige de Bède et l'excellente diffusion de son oeuvre 68 ont assuré le succès de la sélection qu'il avait opérée et en ont fait, pour très longtemps, la version de référence de l'histoire de l'île au temps des usurpateurs

O. Szerwiniack, « La présentation des tyrans de Bretagne dans l'Histoire ecclésiastique (I, 6-12) de Bède le Vénérable », communication présentée le samedi 10 février 2018. Malheureusement, cette communication ne pourra pas faire l

, Rappelons que l'Histoire ecclésiastique de Bède est connue par environ 160 manuscrits médiévaux

J. Voir-en-particulier-l'utile-synthèse-de, Geoffrey of Monmouth, op. cit. ; une lecture de l'oeuvre en termes d'« imagination coloniale » est proposée dans le premier chapitre de Michael A. Faletra, Wales and the Medieval Colonial Imagination. The Matters of Britain in the Twelfth Century, 2014.

, Pour un aperçu des très nombreuses adaptations de l'oeuvre, on peut désormais renvoyer à l'introduction d'Hélène Tétrel et Géraldine Veysseyre (dir.), L'Historia regum Britannie et les « Bruts » en Europe. Tome I, Siân Echard (dir.), pp.85-108, 2011.

M. Voir, L. Rolland, and A. Le,

W. Blanc, L. , and A. Ortenberg, Peter Vansittart et bien d'autres prisent fort la Grande-Bretagne romaine, voire l'Empire romain tout entier, et portent sur elle un avis généralement positif. C'est à la vue d'une monnaie de l'empereur Hadrien qu'un des personnages de Porius (1951) de John Cowper Powys sent se dissiper comme par miracle toutes les « barbaries » de la Bretagne du V e siècle. Quant à l'héroïque général romain, lui aussi nommé Maximus, qui défend le limes rhénan contre l'invasion de 406 dans Eagles in the Snow (1970) de Wallace Breem, il défendait précédemment la Muraille d'Hadrien. Ce genre inclut également les réécritures arthuriennes, en particulier celles où le roi médiéval s'efface derrière la figure d'un héritier de Rome -pas de n'importe quelle Rome cependant, mais d'une Rome qui s'incarne dans le particularisme grand-breton à travers, justement, nos « tyrans » insulaires. À l'instar de celle qui l'a précédée au Moyen Âge 72 , la « nouvelle matière de Bretagne » 73 qui s'est affirmée au long du siècle écoulé est donc aussi, à maints égards, une « matière de Rome ». C'est à travers le prisme fragmenté d'une île laissée à ses propres moyens depuis le « rescrit d'Honorius » et, surtout, à travers la fabuleuse puissance d'assimilation des bardes gallois, que certains de nos usurpateurs sont devenus des « empereurs romains britanniques » et, mieux encore, ont été annexés par le légendaire qui a produit la matière de Bretagne, arrimant l'île à Rome en lui donnant même un ancêtre troyen en la personne de Brutus/Brut. Sans doute y entre-t-il une part d'exceptionnalisme britannique, car il s'agit bien de représenter la Bretagne comme la seule région de l'Occident romain qui se soit insurgée contre l'invasion germanique et, durant un temps, l'ait tenue en échec. Tout cela se retrouve dans le roman historique moderne, où la vision positive de Rome s'accorde généralement avec une image tout aussi positive de la Grande-Bretagne celtique, une célébration des centurions qui veillaient aux frontières septentrionales de l'Empire et qui devaient lui rappeler les vaillants sous-officiers de l'Armée des Indes à la frontière du nordouest. Le même thème réapparaît quelques décennies plus tard sous la plume de W. H. Auden dans le poème « Roman Wall Blues », tiré de sa pièce radiophonique Hadrian's Wall, 1906.

M. Zimmer and B. , dans les romans qu'elle écrit ou co-écrit à partir de 1983 à la suite de The Mists of Avalon, ne s'en empare pour l'annexer, comme bien d'autres personnages, à une mythologie arthurienne refondue combinant histoire, merveilleux et féminisme 75

V. Geoffroy, R. Lars-boje-mortensen, and R. Past, Ainsi la rupture instaurée par Geoffroy et la matière de Bretagne avec l'histoire romaine n'est sans doute pas aussi radicale que le suggère Christopher Lucken, La fin des temps et la fiction des origines. L'historiographie des îles Britanniques : du royaume des anges à la terre des Bretons », Médiévales, n°, vol.38, pp.35-70, 2000.

, Sur cette expression

, Sur la construction de ces stéréotypes dans les îles et sur le continent dès l'époque d'Ernest Renan et de Matthew Arnold, voir en particulier Patrick Sims-Williams, « The Visionary Celt : The Construction of an Ethnic Preconception, Cambridge Medieval Celtic Studies, issue.11, pp.71-96, 1986.

C. Giovénal,

M. Zimmer and B. , , pp.223-236, 2017.

, composé en 1981 par le chanteur, militant nationaliste et dirigeant politique Dafydd Iwan, qui fut plus tard président du parti gallois Plaid Cymru, et dont les paroles mettent en avant le personnage de Macsen Wledig : voir E. Wyn James, « Painting the World Green : Dafydd Iwan and the Welsh Protest Ballad, vol.8, pp.594-618, 2003.

. Seul-trajan, comparable sur ce point, puisqu'il est cité dans l'hymne national roumain, Hoët-van Cauwenberghe et Rémy Poignault (dir.), Mémoires de Trajan, mémoires d'Hadrien