Walter Pater et le paradoxe de l’idéal grec incarné par la sculpture - Normandie Université Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Cahiers Victoriens et Edouardiens Année : 2004

Walter Pater et le paradoxe de l’idéal grec incarné par la sculpture

Résumé

Walter Pater, from his essay « Winckelmann » (1867) onwards, asserted that Greece was the quintessence of culture (echoing here Matthew Arnold's theories) as well as a model to be imitated. Pater, who was strongly influenced by the aesthetic writings of Hegel and Winckelmann, considered that the Greeks were the paragons of an ideal of unity and harmony that modern man had lost ; he also took up the prevalent topos of Greece as the youth of humanity. Greek sculpture embodies this ideal of perfection : the perfection of form, since the sensuous material and the mind combine in those representations of man seen in all his beauty. Moreover, sculpture embodies the happy subjectivity of ephebes characterised by purity, innocence and simplicity, whereas modern man is divided. However, this Greek ideal is wrought by tensions and ambivalences. The art critic's desiring gaze lingers on the whiteness of this Greek sculpted being. Pater thus weaves an aesthetic and erotic discourse focusing on the image of the male nude. Besides, he constantly deconstructs the ideal of perfection which he had at first glorified : he no longer believes that the answer to the problems of his culture consist in turning back to this serene Greek ideal best embodied in sculpture. According to him, these statues reflect a subjectivity which is in fact impossible to regain, because it is limited, impassive and even « insipid » for it is precisely devoid of the consciousness of sin. He finally appeals to the « romantic » experience, which he finds much richer because more troubled and more complex, symbolised by those « maladies of the soul » reflected in the Mona Lisa portrait. Most of Walter Pater's writings indeed show that he wavered between the bright ideal of the Apollinian and the destructive impulses of the Dionysiac.
« Et ego in Arcadia fui ». C'est par cet épigraphe que débute le célèbre essai éponyme que Walter Pater a consacré à Winckelmann, publié, sous l'anonymat, dans la Westminster Review en 1867. Cette Arcadie, espace qui est celui d'une innocence et d'une beauté originelle à présent perdues, revêt chez Pater des limites géographiques plus vastes. Car c'est la Grèce classique qui constitue un lieu vers lequel son regard nostalgique se tournait souvent. Nombre de ses écrits furent ainsi consacrés à l'art, à la philosophie et aux mythes de la Grèce, et principalement celle du V e siècle. Dès ses premiers écrits, notamment ceux qu'il a collectés en 1873 dans le célèbre recueil The Renaissance, Pater formule une vision de la Grèce qui est associée au projet d'une transformation culturelle de sa société. Dans l'un de ces textes, « Winckelmann », Pater voit en la Grèce une culture, voire une forme d'expérience, qu'il conviendrait de retrouver. Ce faisant, Pater s'inscrivait dans une tradition qui remontait aux Hellénistes allemands, dont Winckelmann, mais aussi Hegel, Schiller, Herder, Lessing, Heine, et surtout Goethe. Les Hellénistes allemands du XVIII e siècle s'étaient en effet interrogés sur les insuffisances et sur les échecs de leur temps, et partaient du postulat d'une division de l'être et de la perte d'une unité ; certains s'étaient alors tournés vers les Grecs, véritables parangons d'une humanité parfaite que l'être moderne devait retrouver. L'un des héritiers de ces conceptions en Grande-Bretagne fut bien sûr Matthew Arnold, qui voyait en la Grèce une force qui manquait à sa civilisation. Le recueil The Renaissance est d'ailleurs une réponse à la version de l'hellénisme proposée par Arnold dans son ouvrage de 1869, Culture and Anarchy. Car Pater en appelle lui aussi, avec des accents qui lui sont propres, à une renaissance à son époque de ce qu'il nomme fréquemment « l'esprit grec » (« the Greek spirit », ou encore « the Hellenic spirit »). Dans « Winckelmann », Pater rend hommage à l'historien d'art allemand parce qu'il a su montrer la voie pour renouer avec cet « esprit grec » oublié, dont la pureté originelle s'est reflétée dans son oeuvre mais aussi dans son être même. Il y a, comme il l'affirme, « something simple and primeval in his nature » (145), un tempérament qu'il définit plus loin comme une capacité d'empathie avec l'esprit grec. Winckelmann reproduit ainsi les qualités mêmes de son objet d'étude dans sa propre nature : « that transparent nature, with its simplicity as of the earlier world » (149). L'entreprise esthétique de Winckelmann devient alors une sorte de quête, d'emblée située sous le sceau de la nostalgie d'un état perdu. Avec Winckelmann, explique Pater, « there seems always to be rather a wistful sense of something lost than the desire of discovering anything new » (143). Cet état perdu équivaudrait à une vision de l'homme caractérisée par une harmonie, une unité et une complétude dont ne jouit plus l'homme moderne. Il faut rappeler ici que ce regard nostalgique tourné vers l'homme grec s'inscrit dans un contexte victorien. De nombreux penseurs privilégiaient un topos que Pater reprend lui aussi, en lui imprimant sa sensibilité propre : la Grèce était en effet souvent qualifiée d'« enfance » de l'humanité. Pater, lui, fait souvent la comparaison entre la Grèce de l'époque de Platon et l'esprit d'un jeune homme arrivé à maturité et désireux d'être éduqué. Il se concentre plus particulièrement sur une figure qui lui est chère : le topos d'un être adolescent, situé entre l'enfance et l'âge adulte, qui symbolise et incarne un idéal de beauté inspiré de la Grèce. Et cette figure du jeune homme, qui n'est pas encore arrivé à maturité, est celle d'un être caractérisé par une sorte d'état pré-lapsaire d'harmonie, d'innocence et de fraîcheur. Pater évoque par exemple l'attrait de Winckelmann pour certains aspects de la philosophie de Platon : selon lui, la lecture du Lysis de Platon lui aurait révélé cet état de pureté originelle qui caractérisaient les jeunes Athéniens évoluant dans le cercle socratique : « that group of brilliant youths in the Lysis, still uninfected by any spiritual sickness, finding the end of all endeavour in the aspects of the human form, the continual stir and motion of a comely human life. » (145). Mais Pater va contre la doxa ici : il fait en effet allusion au contexte éminemment provocateur de la palestre grecque, car il s'agit des exercices physiques auxquels se livraient les jeunes gymnastes. Le passage est un écho du texte de Winckelmann dans lequel celui-ci évoquait la nudité magnifique de ces éphèbes. Et si le sujet du Lysis est bien l'amitié entre hommes, il est aussi question de la beauté physique masculine, indissociable de la quête philosophique, ainsi que du désir, même si Pater évite d'être trop précis sur ce point. Pater admire cette absence de gêne et cette nudité sûre d'elle-même. Cet état originel de pureté équivaudrait en quelque sorte à une absence de conscience du péché. Mais surtout, cette glorification du corps nu et cette valorisation de la beauté masculine établit les préceptes d'une esthétique homoérotique qui fit de nombreux émules. Car la valeur principale de l'art grec est, à ses yeux, d'avoir mis au centre de ses préoccupations l'être humain vu dans toute sa splendeur. Parce que la religion grecque n'opérait pas de dichotomie entre le corps et l'esprit, elle permit la création d'un art noble, qui témoigne ainsi de la fusion parfaite entre l'idée et les sens. L'art grec est idéal car il a su ne pas s'enfermer dans une introspection néfaste pour le corps. Plus particulièrement, la beauté corporelle qu'il représente est celle d'un être masculin jeune, qui reflète une subjectivité admirable d'harmonie et de simplicité. Et cet idéal d'une complétude harmonieuse s'exprime le mieux dans la sculpture, qui a pour sujet principal la forme humaine, dont ces jeunes gymnastes que le texte de Platon louait. De telles sculptures d'athlètes offrent en effet l'incarnation d'un idéal de beauté physique qui est en harmonie avec une subjectivité sereine, et surtout, innocente de toute conscience du mal tel que le concevaient les Victoriens. Voilà selon Pater en quoi réside la valeur de la
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Citer

Anne-Florence Gillard-Estrada. Walter Pater et le paradoxe de l’idéal grec incarné par la sculpture. Cahiers Victoriens et Edouardiens, 2004, 59, pp.269-281. ⟨hal-02093275⟩
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