Faire vibrer la nation : musiciens savants et culture de masse au Brésil (1930-1960)
Abstract
La valorisation de la musique brésilienne dans le sentiment national comme dans le concert des nations,
a eu lieu principalement grâce à la mobilisation de motifs populaires. Partant d’une stigmatisation très
forte de ces registres culturels au début du XXe siècle, cette valorisation s’est opérée simultanément, à
partir des années 1930, dans le contexte de configuration d’une culture de masse tant dans le champ des
politiques culturelles, que de l’industrie culturelle. On se propose ici de comparer la mise en place d’une
éducation musicale nationale et obligatoire d’un côté, et d’une programmation musicale radiophonique
fondée sur un financement publicitaire de l’autre, entre 1930 et 1960. Il ne s’agira pas d’opposer
simplement les logiques d’Etat et de marché car, nous le verrons, elles apparaissent étroitement
interdépendantes. Mais nous montrerons comment, en devenant des systèmes informels de mécénat
pour des musiciens de la sphère savante, ces configurations ont contribué simultanément : à la
production d’œuvres emblématiques, à l’organisation de formes nouvelles de communion nationale
(exhortations civiques, synchronisation de classes d’âge, imposition de références culturelles partagées)
et à la constitution de publics et de schèmes de perception pour ces nouvelles formes d’expression
musicale. Outre l’objectivation des configurations socio-historiques très particulières, l’étude se basera
sur l’étude comparée des trajectoires d’Heitor Villa-Lobos et de Radamés Gnattali. Tous deux issus de
l’immigration européenne et avec une vocation socialement construite pour la musique savante, ils se
reconvertissent l’un à l’éducation musicale officielle, l’autre à la production de programmes
radiophoniques de grande audience, produisant des façons très contrastées d’“orchestrer la nation” en élaborant des stratégies leur permettant de déjouer les oppositions structurantes entre savant et
populaire et entre national et étranger.