S. Delà-de, La personne n'est donc pas l'individu qui se crée lui-même par son pouvoir sur luimême et sur les choses, mais il est celui qui demeure fidèle au monde et au prochain par amour pour eux et qui, de ce fait, ne devient pas inconstant par faiblesse ou par blessure d'amour-propre. La constance propre de la personne, qui n'a ici plus rien à voir avec la constance d'une chose, tient à cette incapacité à se passer d'attester de la voix des choses, du cri des hommes ou de l'appel de Dieu. L'identité d'exil est ainsi la libération du vide d'une existence uniquement centrée sur soi, d'une existence abstraite du monde et donc distraite de sa vocation propre. Cependant, si la personne humaine peut comprendre par elle-même la nécessité de s'arracher à la pure immanence d'une intériorité close, elle ne peut pas, par ses seules forces, sortir d'Egypte, pour revenir vers le lieu où elle peut être. Elle ne peut sortir d'elle-même que par l'injonction du mimosa, de l'ami ou de Dieu, sans savoir pour autant clairement où elle est envoyée : c'est ce qui est vraiment qui libère de la seule contemplation de soi en reconduisant à l'inimaginable du réel. La plupart des pensées de l'identité, celles qui abordent la question « quoi » en ignorant la question « qui », n'ont d'autre but que de résoudre cette crise individuelle et collective qui consiste à ne plus savoir quelle est sa place dans l'univers. On ne sort donc de cette crise que par la connaissance renforcée de ce que l'on est, de la place que l'on a à occuper dans le monde. Or, la présente étude a tenté de montrer que tous ces personnages, tous ces masques, aussi déterminés et légitimes soient-ils, ne permettront jamais de répondre à la question « qui ». En effet, il n'est possible d'être soi-même qu'en renonçant précisément à résoudre cette crise par la détermination par soi-même d'une place, pour accepter de vivre dans une crise d'une autre nature, dans une crise consentie, qui consiste à vivre dans l'ignorance de sa place, pour pouvoir ne vivre que dans le lieu ouvert par l'injonction des choses mêmes. L'expérience originaire, qui rend possible l'accomplissement de soi comme personne, est que mon être n'est pas là où je suis mais là où se trouve l'injonction des choses. Il n'y a pas que le visage d'autrui qui énonce le « tu dois », qui énonce le « transcende-toi », qui envoie au-delà de soi, mais également la plus humble des choses du monde, et c'est ma réponse à cet « envoi » qui constitue mon identité personnelle. La conscience de cette identité d'exode ne fait pas de moi un spectateur de moi-même, dans la mesure où il ne s'agit pas de la conscience d'un état, mais de la conscience de l'acte de se recevoir de l'ailleurs, de se laisser informer par ce qui nous touche : elle est la conscience que la plus humble des choses peut être mon avenir. L'identité de la personne ne tient pas à sa place subie ou produite dans un monde déjà là, mais au lieu où elle est appelée à être, et qui est au-delà de ce qu'elle pense d'elle, et c'est pourquoi cette identité est toujours ouverte. La personne ne peut donc être simplement comprise comme cette chose privilégiée qui est aussi une fin en soi, mais elle doit être décrite, si l'on veut vraiment élucider son sens d'être, comme l'homme qui, requiert. Cette fidélité à l'appel des choses et des autres hommes est la seule constance qui ne conduise pas à un enfermement en soi, dans une image de soi, enfermement qui est le mode d'être premier de la personne qui n'est jamais d'emblée elle-même. La personne ne devient vraiment substantielle qu'à rendre en elle la capacité à ne pas résister à ce qui la met en exil de plus en plus substantielle

. Ce-qui-prend-sans-reste, Dès lors, le véritable principe d'individuation de la personne n'est ni sa place dans le monde, ni l'activité du « je » se produisant lui-même, ni même l'acte de se possibiliser à partir de sa finitude, mais c'est cet appel de l'infini sans lequel la personne ne peut pas s'interroger sur le sens de son être, ne peut pas devenir pour elle-même une question