, Cela dit, l'Europe n'est pas un style historique comme les autres en ce que l'idée qui la gouverne n'est pas un intérêt pratique fini, mais une idée infinie qui pour Husserl est constitutive de la personne transcendantale dans son sens fort

, En dehors de cette universalisation, qui n'est pas nécessairement destructrice de la singularité des traditions, il ne peut y avoir, selon Husserl, qu'une chute dans un relativisme, qui est un nihilisme destructeur de la personne. C'est dans la Crise de l'humanité européenne que Husserl décrit ce nouveau style d'existence, cette « révolution de l'historicité 63 » qui conduit à rechercher l'infinité dans tous les domaines de la culture et qui introduit la possibilité d'une nouvelle façon de se vouloir et de se comprendre. Ainsi, dans son présent historique, la personne transcendantale se comprend comme appartenant à une communauté fondée sur le partage d'un bien infini, qui ne divise pas les hommes, sur un telos commun, qui ne vient pas s'ajouter aux buts finis de l'existence singulière, mais qui vient les transformer en profondeur. Cette communauté nouvelle, parce qu'intérieure, fondée sur la communauté d'intérêts purement idéaux, est l'idée d'une vie volontaire selon des fins qui dans chaque intérêt affirme l, vol.359, p.325

X. Voir-hua, , pp.270-271

, Il ne s'agit même pas de se présenter un temps long, mesurable en années ou en siècles, mais de penser que jamais le mot fin ne sera prononcé dans cette vie de désir. Bien évidemment ce que nous désirons ne cesse de se modifier, nous passons d'un désir à l'autre, nous papillonnons, mais au-delà de tous ces changements ce que nous désirons, c'est désirer toujours. Toujours signifie ici sans cesse, jusqu'à notre mort, puisque nous savons que nous sommes mortels. Ce désir est sans doute vain, mais c'est ce désir sans fin qui se trouve illustré dans la mythologie où l'on voit des dieux toujours jeunes et d'un désir toujours jeune poursuivre des proies inépuisables. Le rêve d'élixir de longue vie, le rêve d'immortalité, d'une éternelle jeunesse, anime tout homme, même si ce rêve est déjà celui d'un vieillard

, Le refus de l'immortalité. Il reste à savoir si nous voulons vraiment être immortels

, Ainsi dans le rêve d'une vie qui n'en finirait on risque de vivre dans un futur impropre et de manquer le présent luimême. Enfin une vie sans terme serait une vie sans fin, sans but, comme l'a montré Heidegger dans Être et temps. C'est bien parce que le temps est fini et que nous sommes mortels que nous avons des choix à faire, que nous pouvons faire des choix. Celui qui aurait devant lui un temps indéfini pourrait tout faire et ne pourrait donc pas choisir. L'absence de la mort rendrait la vie insignifiante : si on peut tout faire, si tout est possible, ce serait la fin du désir lui-même. En outre une fin sans un terme et sans un but serait également une vie sans passé, puisque le passé ne peut être compris qu'à partir du projet que je suis pour moi-même. On peut certes vouloir se libérer du poids du passé, du poids de la mémoire, pour vivre dans la douce insouciance d'un instant vide qui semble une suspension du temps, mais dans cette éternelle inconscience je ne peux pas être moi-même. Comme dit Kant dans ses textes sur l'histoire, les bergers d'Arcadie ne valent pas mieux que les moutons qu'ils gardent, Il s'agit surtout d'une volonté négative : nous voulons la non-mortalité, la suppression de cette suppression absolue qu'est la mort. Dès que l'on cherche à concevoir l'immortalité et qu'elle cesse d'être une idée vague, elle devient moins désirable et les représentations de la vie éternelles semblent parfois très ennuyeuses

, Il est donc clair que c'est la peur du temps qui conduit au mauvais désir d'éternité, celui qui est vain et inconsistant, et que c'est aussi peut-être cette peur, comme le développe Nietzsche dans Le gai savoir (préface, § 344) qui est à l'origine de la métaphysique comme doctrine de l'être éternel

. Dans-le-roman-d'emile-ajar, R. Ou, and . Gary, La vie devant soi, le jeune Momo s'ouvre à l'existence alors que la vieille Rosa termine son existence en demeurant prisonnière d'un passé de souffrance. Mais bien évidemment il ne s'agit pas simplement d'une question d'âge car la vie dont il s'agit n'est pas la simple vie biologique qui peut déterminer un futur

, Avoir la vie devant soi n'est-ce pas alors quelque chose qui se gagne par rapport au monde et par rapport à soi, n'est-ce pas le résultat d'un travail ? Il en va de la possibilité de la liberté et de son bon usage. Mais il y a également une dimension éthique à cette question : avoir la vie devant soi n'est-ce pas vivre sous l'horizon infini d'une responsabilité ? N'est-ce pas se proposer dans le temps des fins éternelles comme l'homme de science ou le philosophe ? Cette question n'est donc pas anodine et conduit à s'interroger à la fois sur la nature de l'avenir, sur la définition de l'homme, et sur la signification éthique de l'existence humaine. On commencera par mettre en lumière la difficulté qu'il y a à avoir vraiment la vie devant soi sans être prisonnier du passé ou d'un présent vide de tout avenir, pour montrer ensuite en quoi l'homme se comprend comme la capacité de s'anticiper, de se représenter les possibles. Dans un dernier temps on pourra alors se demander si l'avenir est d'abord une représentation ou bien la capacité à faire face à l'inconnu, Avoir la vie devant soi n'a de sens que pour une vie spirituelle, celle de l'homme qui a la capacité de s'anticiper lui-même, de se vouloir lui-même dans le temps. La question est tout de même de savoir si on a la vie devant soi dans la mesure où le futur demeure indéterminé vide et n'est pas un objet qu'il soit possible de se représenter

, avoir la vie devant soi ne tient pas à la quantité de temps qu'il reste à vivre, mais à la façon même dont on existe. Il est possible d'être très jeune et de ne pas avoir la vie devant soi parce que l'on est dans une situation d'esclavage, de dépendance, ou bien à cause d'un traumatisme. Parfois dès la jeunesse on peut avoir la vie derrière soi parce qu'on ne parvient pas à se projeter dans l'avenir et qu'on demeure bloqué soit par le poids du passé

, Les totalitarismes du vingtième siècle ne laissaient aucune place à l'individu pour qu'il puisse se construire un avenir et même l'idée d'un exil intérieur possède ses limites. Voir les analyses de Hannah Arendt sur le totalitarisme. Même la valorisation du présent dans le stoïcisme, qui est comme disait Hegel une philosophie pour des temps de détresse, B Sous une dictature l'homme se trouve privé de liberté et pour lui il n'y a pas d'avenir dans cette soumission

, Il s'agit d'une temporalité de survie dans laquelle l'individu ne parvient pas à donner un autre contenu à sa vie. La volonté même d'émigrer et celle de trouver une terre d'accueil dans la quelle il sera possible d'avoir un avenir. Le mythe américain est très largement le mythe que tout homme peut accéder à la prospérité en fonction de ses qualités propres. L'illusion d'un avenir radieux, de lendemains qui chantent, est un moteur puissant de l'action humaine. D'une façon plus générale toutes les violences subies bloquent la possibilité même de considérer l'avenir. Encore faut-il pouvoir se libérer de ce passé qui est un poids, C Avoir la vie devant soi cela suppose également des conditions matérielles d'existence. La très grande misère interdit tout projet et condamne à vivre au jour le jour sans pouvoir se projeter dans le temps

, D Bien sûr une violence intérieure peut également rendre impossible d'avoir la vie devant soi

, Cela dit même en dehors de toute pathologie l'homme peut volontairement renoncer à se projeter dans l'avenir. C'est par exemple l'attitude du blasé pour lequel tout a déjà été vu et il n'y a rien de nouveau sous le soleil. De même dans l'ennui, qui est toujours un ennui de soi, on renonce à se donner un avenir. Bien sûr il ne s'agit plus ici du soi déchiré de la violence externe et interne, mais plutôt d'un abandon, d'une lassitude, d'une fatigue. Avoir la vie devant soi, c'est-à-dire se projeter vers l'avenir, cela demande un effort, c'est fatiguant et tout homme peut sombrer dans la facilité de la répétition, du train-train quotidien, sans jamais se remettre en cause. Cela peut être un peu un style fin de siècle que de considérer que devant soi il n, Dans la temporalité de la folie il n'y a pas vraiment d'avenir, mais plutôt la répétition indéfinie du passé sous diverses formes

. Ii-s'anticiper-soi-même,

, avoir la vie devant soi demande toujours un travail. D'abord un travail de transformation du monde par lequel il est possible par les conditions matérielles et par le droit d'avoir un espace de liberté, mais également un travail sur soi en essayant de surmonter le poids du passé en l'assumant, en lui donnant un sens, mais également en surmontant sans tendance à la paresse en faisant de soi un projet. Je ne suis pas ce que je fus, mais ce que j'ai à devenir. Cela vaut pour les individus et pour les peuples

, L'impatience n'est pas une bonne façon d'avoir la vie devant soi car elle force le devenir à se plier à nos désirs et elle conduit à être hors de soi. Le danger est de vouloir idéaliser le futur par l'imagination de telle sorte que nous voulons déjà y être. L'homme impatient ne supporte pas la lenteur du temps et la vie devant soi se réduit à être une projection imaginaire de l'agréable. A ce futur imaginaire correspond un moi imaginaire, on voudrait être un autre, et ainsi le bonheur n'est pas devant soi car il se trouve repoussé dans un lointain indéfini, A Avoir la vie devant soi ce n'est pas répondre à la violence du monde par l'impatience du désir

. B-cela, peut tout à fait être un moteur de la vie intellectuelle et pratique. Comme l'a montré Baudelaire l'imagination est la qualité de l'homme d'action. Elle a le pouvoir de nous libérer de notre enfermement dans le présent en anticipant sur le développement possible des possibilités présentes. La vertu du politique est bien la prospective. Pour avoir la vie devant soi, il faut cette capacité de concevoir le possible en se libérant de ce qui existe déjà. Autrement dit le travail de la pensée consiste à retirer au futur son indétermination en préparant l'avenir

, Avec Heidegger on retrouve la signification dynamique de l'avenir qui est le sens originaire du phénomène de l'avenir. Avoir la vie devant soi consiste à advenir à soi en son pouvoir être le plus propre. L'avenir n'est plus séparé de l'être, ce n'est plus une irréalité

. C'est-ainsi-que-sartre-pourra-dire-que-même-le-passé-est-un and . Projet, Avoir la vie devant soi ce n'est pas sombrer dans l'indifférence de l'ennui, mais c'est naître continuellement à soi-même dans l'épreuve du monde. Dès lors avoir authentiquement la vie devant soi c'est ne pas faire dépendre mon avenir des choses, pour être purement présent à mes propres possibilités. Le philosophe ne met pas son avenir dans l'exploration d'un corpus, mais ne cesse de se devancer dans son devenir philosophe

, Platon est notre avenir non au sens où l'on aurait a répéter la doctrine platonicienne, mais parce que Platon nous reconduit à l'exigence même de la pensée et que nous ne pourrions pas le faire sans lui. C'est en ce sens qu'il est notre avenir comme philosophe. De ce point de vue l'avenir est bien l'inattendu. Ce que l'on nomme le réel ce n'est justement pas une représentation attendue, une image classique et convenue du monde, mais c'est ce que je n'attends pas. En science comme dans l'art le réel est ce que je n'attends pas, comme a pu le montrer le philosophe Henri Maldiney. Ainsi penser à l'avenir ce n'est pas seulement penser au probable, mais également à l'inespéré. Déjà Héraclite disait que l'espérance est une attente de l'inespéré. Autrement dit on n'a la vie devant soi qu'en existant devant ce qui est inattendu, totalement autre que ce que l'on imaginait. C'est ce souci de l'altérité des choses et des êtres qui peut rendre l'individu à sa propre altérité, à son devenir autre et donc à son avenir. L'espérance prend alors une signification très vaste. Avoir la vie devant soi c'est être capable d'espérer dans le monde, en autrui et en soi-même dans l'incertitude de ce qui adviendra, C Comment puis-je être rendu à la singularité de mon pouvoir être propre si ce n'est par la présence d'autrui, voire par son amour ? Ce n'est pas par mes seules forces que je peux m'arracher au poids du passé pour retrouver un avenir

, puis la nécessité de se représenter l'avenir, pour enfin mettre en lumière l'espérance comme une structure de l'existence, on a té conduit à montrer que la vie spirituelle est une tension constante et qu'avoir la vie devant soi en évitant tous les pièges extérieurs et intérieurs c'est un combat permanent avec une constante possibilité de chute. Cela supposait d'expliquer que le temps n'est pas une substance mais un acte de temporalisation pour retrouver la signification première de l'avenir. Cela supposait de montrer également que le moi n'est pas non plus une substance, mais un acte de temporalisation soit qui est capable d'envisager l'avenir, soit qui demeure bloqué dans le passé. Ainsi avoir la vie devant soi c'est répondre de soi et du monde en demeurant attentif à ce qu'il y a de nouveauté dans le devenir, Conclusion. En montrant la difficulté qu'il y a à avoir la vie devant soi