, Le corps paraît tout à fait nécessaire à l'âme intelligente pour l'opération propre à celle-ci, qui est de penser ». L'union de l'âme et du corps est beaucoup plus qu'un simple mélange, et en cela ce n'est pas le corps seul qui manie et ce n'est pas l'âme seule qui fait preuve de volonté. Le corps humain participe donc de plein droit à la dignité de la personne humaine et il reconduit à la potentialité même de la personne dont l'actualité (l'accomplissement) vient de l'âme intellective. La main montre justement que l'homme n'est pas un vivant auquel se surajouterait de façon extérieure une couche d'animalité, puis une couche d'humanité : c'est l'homme en totalité qui sent, qui touche, et non pas l'animalité en l'homme. Autrement dit, encore une fois, l'incarnation n'est pas une prison, mais le lieu d'une connaissance et d'une opération. Dans cette perspective le corps n'est pas d'abord un lieu de présence à soi, mais il est un lieu d'action dans le monde, composé d'âme et de corps. Notre corps participe à notre présence au monde et à notre bonheur : c'est âme et corps que nous accomplissons notre humanité. En conséquence, dans cette philosophie pour l'âme le corps n'est pas un poids à maîtriser, mais elle est ce sans quoi elle ne peut accomplir son essence. Saint Thomas ajoute dans la Somme théologique, vol.84

, Il faut en conclure que la philosophie médiévale nous donne à comprendre que la main est bien autre chose qu'un simple acte de possession : elle est bien plus fondamentalement une lâcher prise, un oubli de soi dans le travail qui ne consiste pas à fuir ou à faire l'autruche, mais qui est une façon d'être tout entier à sa tâche d'homme. On juge un homme à ses oeuvres, ce qui signifie que la perfection des mains ne se trouve pas en elles, dans les doigts etc, L'homme n'agit vraiment que quand il cesse de se préoccuper de lui-même dans la connaissance et l'amour

, Comme l'explique Rémi Brague dans son livre Au moyen du Moyen Âge (édition La transparence), le corps fait de nous un individu singulier, mais la chair est au-delà de l'individuation : elle nous lie à ce que nous ne sommes pas mais qui devient ce que nous sommes ou nous aide à le devenir. Par exemple la chair est faite de la nourriture que nous empruntons à la nature, elle nous lie aussi à nos parents, à nos frères et à nos soeurs, à nos enfants. Il y a un tissu charnel de la parenté et là encore la chair n'est pas mauvaise en elle-même. En fait c'est toujours l'âme qui entraine la chair vers le mal, mais la chair elle-même n'est pas mauvaise et porte en elle l'historicité de l'homme : l'individu est une histoire, l'histoire de ses relations avec le monde et avec les autres, et c'est pourquoi par exemple l'amour humain doit mûrir, il est ce qui demande toujours du temps, le mot chair désignant alors la faiblesse et la fragilité du corps humain : la chair est le corps en tant que sensible et mortel